En raison des efforts insuffisants pour sauver et booster l’artisanat, ce secteur peine aujourd’hui à décoller et à se développer. Mais le dilemme ne s’arrête pas là, puisque le marché national de l’artisanat est inondé par les produits de contrefaçon.
La contrebande rentre dans le paysage économique et social et devient une réalité amère dans tous les pays. Détenant, aujourd’hui, une part importante dans l’économie nationale, ce fléau ne peut pas être chiffré facilement, mais ses répercussions sont considérables et énormes. Selon les dernières estimations, l’économie informelle représente plus de 55% du PIB tunisien contre 35,5% en 2012.
Au total, 76,8% de l’ensemble des emplois dans le secteur du commerce intérieur relèvent du secteur informel, même s’il s’agit le plus souvent d’emplois de subsistance. La part des activités de contrebande dans le PIB s’élève quant à elle à 2,5% et représente 15 à 20% du flux interne des marchandises en Tunisie. Le secteur de l’artisanat n’échappe pas à cette tendance. Il rencontre aujourd’hui plusieurs problèmes dont notamment le financement des projets, la formation, la contrefaçon et la contrebande.
A quel coût ?
D’après Abdellatif Kaâbi, Consultant international en management, marketing et communication d’entreprise, la contrebande, qui n’est pas spécifique à l’artisanat, entraîne des conséquences multiples. C’est une manne dont doit se priver notre pays et un fléau qui entraîne des dommages évaluables à des dizaines de milliards annuellement. Elle représente en elle-même une activité criminelle qui peut en accompagner d’autres. Idem pour la contrefaçon, souvent associée à la contrebande.
Ce phénomène entraîne des conséquences lourdes pour le secteur artisanal tunisien ; des magasins, connus et recommandés pour la vente des produits artisanaux, risquent de fermer et plus de 50.000 artisans sont menacés de chômage. « Selon les dernières estimations, le coût de la contrebande supporté par le secteur artisanal par rapport à tous les secteurs confondus est de l’ordre de 4%. Pour les produits d’imitation, ils représentent plus de 60% du marché artisanal et il est très difficile de distinguer entre le produit artisanal imité du produit original…
Cela aura, donc, une répercussion négative sur le tourisme qui est attiré par le produit artisanal tunisien », souligne le consultant, ajoutant que pour la contrefaçon, ce trafic est devenu une véritable «industrie», dotée de sites de productions et d’importants réseaux de distribution.
Que des risques avérés…
Kaâbi affirme que les produits contrefaisants échappent à toute norme de sécurité et à tout contrôle de qualité. A titre d’exemple, en achetant des cosmétiques ou des accessoires contrefaisants, le consommateur s’expose à des risques d’allergies. «Acheter une contrefaçon, c’est accepter de mettre en péril notre industrie. C’est soutenir des réseaux mafieux et criminels.
C’est faire planer sur notre économie le spectre d’un ‘’pillage industriel’’, qui à terme, menace sa sécurité et sa prospérité. Comment vouloir plus de croissance et d’emplois et à la fois acheter du faux ? Comment s’élever contre les délocalisations et à la fois accepter que des artisans et des entreprises artisanales tunisiennes, qui ont à cœur d’ancrer leur création et leur production en Tunisie, soient soumis à la concurrence déloyale des contrefacteurs?», demande-t-il.
A cet égard, la contrefaçon a un véritable coût économique et social. Pour les créateurs, elle déprécie leur travail que les droits de propriété intellectuelle sont censés protéger et valoriser. Pour les entreprises, cette activité illicite constitue un préjudice moral (l’image et la réputation de la marque sont ternies par l’affluence des contrefaçons de mauvaise qualité) et un préjudice économique en créant une barrière à l’exportation, en entraînant une perte de leur chiffre d’affaires, une diminution de leurs bénéfices et réduction de leurs parts de marché.
Ce qui ne peut manquer d’avoir un effet négatif sur l’emploi.
«En profitant indûment de l’actif immatériel d’autrui sans engager de quelconques dépenses en matière d’innovation, marketing ou contrôle de la qualité, le contrefacteur se livre à un véritable pillage de savoir-faire, né des efforts de création et de recherche. Ce dernier ne paye aucune taxe, ce qui lui permet de dégager d’énormes marges de profit tout en offrant ses produits à des prix défiant toute concurrence», précise-t-il.
Comment la déceler ?
D’après le consultant, plusieurs indices peuvent permettre aux acheteurs de distinguer un produit authentique d’une copie. Le critère déterminant d’une contrefaçon reste avant tout son prix. L’acheteur doit donc se montrer attentif aux offres de prix anormalement basses. Par ailleurs, les marques de luxe sont vendues exclusivement par les magasins de la marque, les revendeurs agréés et les sites officiels des maisons qui distribuent par Internet.
Pour l’emballage des produits contrefaisants, ils sont la plupart du temps de mauvaise qualité, contrairement aux emballages des produits authentiques. Pour les étiquettes, elles constituent également un indice important. Il convient de se montrer vigilant quant à l’orthographe de la marque et des noms de société. Elles permettent aussi à l’acheteur de vérifier la conformité du produit aux normes, les certificats d’authenticité, les conditions de garantie et le service après-vente proposé.
Rien que la lutte !
Les pouvoirs publics sont les premiers à intervenir en matière de lutte contre la contrefaçon (douanes, police, justice, les ambassades de Tunisie et missions économiques tunisiennes, Office national de l’artisanat, Fédération nationale de l’artisanat, ministères du Commerce, du Tourisme, de la Santé…). «Tous les intervenants du secteur doivent appliquer intégralement et strictement les différentes lois régissant le commerce des produits artisanaux, pour agir contre le commerce illicite des produits de la contrebande, de la contrefaçon et de tous les produits nuisibles à la santé humaine», affirme-t-il.
Il est à rappeler que le décret n°2552 daté du 8 novembre 1999 oblige les commerçants des produits de l’artisanat à se soumettre au cahier des charges régissant leur activité et à ne commercialiser que les produits artisanaux 100% tunisiens. Ces textes obligent tout le monde, artisans compris, à ne commercialiser que les produits originaux, loin de la contrefaçon et de la contrebande, et qui ne sont pas nuisibles à la santé.
Par ailleurs, suite à son accession à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la Tunisie a adopté de nouvelles dispositions législatives qui comportent des mesures de nature à lutter contre le phénomène de la contrefaçon, dans le cadre des différentes lois relatives à la propriété intellectuelle. Mais réellement, c’est à partir de 2007 qu’on a eu une loi qui s’intéresse au secteur de l’artisanat et à ses produits. Il s’agit de la loi du 27 décembre 2007, relative aux appellations d’origine, aux indications géographiques et aux indications de provenance des produits artisanaux. Cette loi vise la valorisation des caractéristiques originelles des produits artisanaux et la protection de leurs spécificités en leur octroyant «une appellation d’origine», «une indication géographique» ou «une indication de provenance».